J’ai déjà parlé ici plusieurs fois du travail d’Éva Offredo avec Murdo, sur un texte d’Alex Cousseau aux éditions du Seuil jeunesse, et Yahho Japon ! déjà aux éditions Maison Georges. C’est que je suis avec attention ce qu’elle fait depuis bien longtemps entre son travail pour l’édition jeunesse et pour la presse avec les Magazines Georges et Graou notamment, dans cette intéressante collaboration avec les éditions Maison Georges.

Dans cet album, Billy, un jeune garçon habitant les grandes plaines de l’Ouest américain, est destiné à devenir cow-boy, comme il en est de chaque génération de sa famille. Peu enthousiasmé à cette perspective, il part voyager, découvrir le monde et se découvrir lui-même dans une sorte de quête intime, boucle personnelle sous forme de voyage initiatique. Avec lui, l’on traverse, émerveillé.es, la pampa, l’aven, le fjord ou la mangrove pour retrouver le plateau de son enfance et du départ, vu d’un regard neuf et enrichi.

Le voyage de Billy est évoqué en trois parties, ou plutôt par trois points de vue sur le même parcours montrant autant l’instant que le recul sur celui-ci et formant les trois parties du livre s’enrichissant les unes les autres avec finesse et envie d’y revenir, de lier des passages entre eux. À noter la très belle fabrication du livre au dos arrondi et pourvu de trois signets permettant de marquer ses pages à loisir dans ces allers-retours passionnants.

La première partie, racontée par l’autrice-narratrice, est purement narrative, nous emmenant dans ce fabuleux voyage fait de découvertes où l’on en prend plein les yeux aux côtés de Billy face à ces paysages inconnus et fascinants. Le texte, plutôt court et sobre, est intégré en cartouche en bas des pages, laissant toute la place aux illustrations à bords perdus. Les illustrations d’Éva Offredo, épurées ou plus détaillées selon les pages, sont faites de formes géométriques, de contours marqués et d’aplats de couleurs tranchées donnant à voir des panoramas saisissants et évocateurs parfois proches de l’abstraction, formant comme des motifs. Des gammes de couleurs différentes sont proposées pour chaque endroit, donnant une harmonie intéressante se développant au fil du récit et du parcours de Billy. Chaque étape du voyage est conclue par une carte légendée indiquant les cheminements et détours parcourus.

La deuxième partie, plus intimiste, présente le carnet de voyage de Billy lui-même. Dans ce journal intime, l’on refait avec lui le voyage en s’attachant à plus de détails, à ses collections de plumes ou de roches, ses conseils pour créer un abri ou se faire à manger. L’écriture est fragmentaire, suivant sa pensée et le moment présent, entre ressentis, émerveillements et souvenirs à conserver précieusement. Les illustrations sont constituées des dessins attribués à Billy à l’aquarelle monochrome, comme s’il n’avait emporté avec lui qu’un carnet, un pinceau et un godet bleu.

La troisième partie est consacrée à l’album des merveilles écrit par après son périple par Billy, entre ses souvenirs et ses recherches sur les différents écosystèmes traversés de ce monde passionnant et évoluant. Il y a là de l’atlas documentaire revenant sur les différents endroits, leurs spécificités, leurs faunes et flores par des explications méticuleuses et très intéressantes. La délicatesse minutieuse de l’autrice permet de creuser certains sujets sans alourdir la narration première. Cette partie reprend en vignettes les illustrations de paysages ainsi que certains détails de cette nature foisonnante et toujours différente.

Éva Offredo s’empare du personnage aussi emblématique, fascinant que parfois véhicule de clichés en littérature jeunesse qu’est le cow-boy, convoquant immédiatement aventure et grands espaces. C’est ainsi dès la couverture où Billy, prénom de cow-boy s’il en est, lance son lasso se confondant avec le nuage en fond d’où se détache le titre du livre de la couleur du ciel. Il y a là autant la présence de ce personnage reprenant les codes classiques du genre qu’une certaine poésie qui s’en dégage, intrigue et attire. Ce personnage iconique peut alors être un moyen de questionner le fait d’être en société en tant que garçon et homme en devenir. Le genre emblématique du western est déconstruit avec douceur et poésie mais pas moins d’aventures et d’explorations.

Le voyage est ici fait d’étonnement, d’émerveillement face à la richesse du monde et de la nature. L’on y contemple autant de grandes espaces devant lesquels Billy s’efface et semble tout petit, que certains détails qu’il prend le temps d’apprécier. Les espaces et le temps sont étirés dans cette itinérance qui laisse le temps de l’observation et de la rêverie autant à Billy qu’aux lecteur.ices. Ce voyage devient initiatique pour Billy qui part non pour fuir mais pour se découvrir lui-même à travers d’autres découvertes et finir par mieux revenir. Il affirme avec douceur et sérénité ses choix, sans crainte de son retour auprès de sa famille sur ses terres de cow-boys. Si le voyage lui a permis de se découvrir, il lui permet aussi de redécouvrir son chez-soi, sûrement plus intéressant et ouvert qu’il ne l’imaginait dans cette sorte de retour aux sources plein d’espoir. Cette ode à l’exploration, à la contemplation et à la simplicité volontaire s’avère particulièrement touchante et inspirante, comme un parallèle à l’enfance elle-même éphémère des lecteur.ices qui s’en empareront.

À noter le beau travail autour du livre imaginé, comme à chaque fois, par l’autrice, avec notamment un 45 tours pouvant l’accompagner comme une ballade sonore composée par Artuan de Lierrée avec une pochette sérigraphiée du plus bel effet !

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